Est-ce normal d'avoir des émotions ?

Lors d’un cours collégial dispensé en milieu carcéral, une question essentielle m’a pris de court : “Est-ce normal d’avoir des émotions ?”

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Charles Trempe

8/23/20252 min read

   Je me souviendrai toujours de la première fois où l’on m’a posé cette question : « Charles, est-ce normal d’avoir des émotions ? »

   À l’époque, j’étais chargé de cours dans une prison fédérale à sécurité moyenne. J’y enseignais un cours de Psychologie générale à des détenus dans le cadre d’un programme collégial. La question venait d’un étudiant, posée avec un sérieux désarmant. Ses compagnons attendaient aussi la réponse. Moi, j’étais pris de court. Sur le moment, j’ai cru qu’il voulait me narguer. Comment peut-on poser une question aussi élémentaire avec un tel aplomb ?

   Mais non, il était sincère. Et sa question l'était tout autant. J’étais stupéfait qu’une interrogation aussi fondamentale me soit posée. Je réalisais que je tenais pour acquis que tout le monde savait ces choses-là. Eh bien non. J’avais tort.

   Une question qui revient souvent

   Depuis ce jour, dans ma pratique d’enseignant, de psychologue et d'animateur, j'ai souvent entendu des commentaires du type :

– Il faudrait que j’apprenne à contrôler mes émotions.

– Ce sont mes émotions qui me font faire ça.

– Je pense que je suis trop sensible, il faudrait que je m’endurcisse.

– C’est pas bien d’être émotif, hein ?

   Quelle que soit sa formulation, elle révèle souvent une méconnaissance profonde de ce qu’est la vie émotive. Comment peut-on bien fonctionner dans sa vie si l’on croit qu’il est anormal d’avoir des émotions ?

   Les émotions : un système d’information vital

   Pour certaines personnes, les émotions sont perçues comme des réactions à dompter, à éviter ou à contrôler, comme une menace dont il faut se protéger à tout prix. Mais à quel prix ? Quand on passe son temps à lutter contre sa vie émotive, il n’est pas étonnant de se sentir constamment épuisé.

   Les émotions différencient le vivant du non-vivant. Elles constituent un système d’information sophistiqué, capable de nous indiquer ce qui est bon pour nous à chaque instant. Elles nous orientent vers les actions qui nous conviennent, à condition de savoir composer avec les obstacles que nous rencontrons. Et ces obstacles viennent, pour la plupart, de notre propre fonctionnement interne. Nous sommes souvent les spécialistes de l’auto-sabotage.

   Des apprentissages nuisibles

   Certains pensent que nous avons appris à nous auto-saboter et, dans bien des cas, c’est vrai. Des influences parentales ou pédagogiques ont parfois encouragé des façons d’être nuisibles, du genre : « Un garçon, ça ne pleure pas. » « Ce n’est pas féminin de se fâcher. » En réalité, la tristesse et la colère n’ont rien à voir avec le genre. Elles sont liées à un manque, une perte ou un obstacle à notre satisfaction.

   Quand nous apprenons sans analyser ni vérifier, il n’est pas étonnant de vivre avec des états désagréables. Quand nous « gobons » des idées toutes faites, sans les digérer, c’est-à-dire sans passer par ce processus de transformation qui nous permet de conserver ce qui est bon et d’éliminer ce qui est mauvais, il ne faut pas se surprendre de se sentir tout pogné en-dedans.

   Et maintenant ?

   Peut-être qu’une bonne remise en question est de mise. Il existe plusieurs moyens de s’entreprendre : lecture, cours, ateliers de développement personnel, groupes d’entraide, consultation individuelle…

   Mais tout commence par une question sincère à laquelle il faut avoir une réponse. Et parfois, cette question est aussi simple que : « Est-ce normal d’avoir des émotions ? »