Chronique - Les poux sous la tuque

Chronique de Pierre Foglia publiée dans la Presse, samedi, 6 février 1988. Sujet : Les manipulateurs d'âmes. Thème : Les cours de croissance personnelle. Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec.:

CHRONIQUES DE PIERRE FOGLIA

Pierre Foglia

8/26/20255 min read

   Et pique, et gratte. Ça fait trois semaines que je suis plein de poux cosmiques. Le plus fâcheux avec les poux, c'est le feeling d'être morpionné de la tête aux pieds. Je les sens courir partout. J’en vois partout.

   Mais c'est vrai aussi qu'il y en a beaucoup. Tenez, d'après la revue Time du 7 décembre dernier, il y aurait aux États-Unis, 2500 librairies du Nouvel âge. C'est pour vous dire si elles courent tous azimuts les petites idées qui piquent. Le même article rapporte que dans certaines écoles de commerce, on mêle allègrement le zen, le yoga et le tarot au cours d'économie. On raconte aussi qu'au centre d'entraînement de Fort Hood au Texas, on fait méditer les bérets verts en leur suggérant des « visualisations » de combat…

   Chez nous, même contamination sélective. The Forum recrute très activement chez les hauts fonctionnaires à Ottawa et à Québec, dans le but avoué de s'approcher le plus possible du pouvoir. L'Institut du développement de la personne se vante bien haut d'avoir embarqué un ministre « de la Beauce »… Et au cours de cette série, j'ai rencontré un nombre effarant d'enseignants dans les cours de croissance…

   Et encore n’ai-je même pas touché au délicat dossier des « thérapies d’entreprise". Dans presque toutes les grandes compagnies (mais oui, à La Presse aussi) on offre au cadre moyen et supérieur de le « réactiver » en bonnes énergies positives. Sauf qu'au lieu d'appeler cela des ateliers de croissance personnelle, on dit des cours « d'authenticité en management ». Et on appelle « consultants » les gens qui les donnent. On est cependant moins précis sur la nature de l'idéologie que véhicule ce genre de management…

   Non, je ne suis pas en train de vous faire une crise de paranoïa. Je ne suis pas en train de capoter sur le grand-complot-contre-l’humanité. Non, c'est juste un petit frisson sur ma nuque. Juste quelques poux sous ma tuque.

   C'est jusqu'avant cette série, je ne faisais pas les liens. Même les plus innocents, les plus visibles…

   Tiens, à la radio, par exemple. Mettons au Grand Carrousel du samedi matin à Radio-Canada. J'avais bien remarqué qu'il y avait souvent des invités très empressés à témoigner de leur intérieur, de leur sérénité, depuis qu'ils ou elles acceptent l'autre dans sa globalité… Je trouvais cela cucul et drabe sans plus, sans soupçonner de message derrière tout ça. Mais depuis que j'ai appris le petit catéchisme cosmique, j'entends bien qu'il n'y a rien de fortuit là-dedans, que c'est là une messe préméditée, que c'est là le message racoleur d'une petite gang. Et je me sens manipulé après coup. Et ça m’écœure.

   C'est pas un grand complot, non. C'est juste que je ne savais pas que le Nouvel Âge était mêlé à ce point à mon quotidien. Je me disais souvent, crisse que ça m’pique. Je me grattais. Je ne savais pas que c'était des poux cosmiques.

   L'autre jour chez des amis, je feuillette le Guide des Ressources alternatives et je tombe sur l'éditorial de Lamontagne, un gars que j'ai côtoyé jadis au Temps fou… Je lis son texte. Je me demande pourquoi ce bonhomme que j'ai connu très articulé écrit des trucs aussi nuls, et il me fournit lui-même la réponse dans sa conclusion. Je vous la donne cette réponse, parce qu'il se trouve qu'elle résume bien l'idéologie de toutes les thérapies de croissance du Nouvel Âge. « Vous trouverez peu d'articles revendicateurs ou négatifs dans le Guide, prévient Lamontagne, parce qu'un seul exemple positif, une seule réussite a mille fois plus d'influence que tous les discours dénonciateurs du monde. Ceci est une loi universelle… »

   Il y a un mois je n'aurais vu là-dedans que fadasses fadaises. Maintenant je sais que c'est une religion. Dont le pape est Big Brother. Mais Big Brother ne fait pas avec sa bouche le « OOOOMMMM » thibétain, comme je le disais à la fin de mon premier papier.

   Il fait : « Aga agaga gaga »

   Je m'étais pourtant bien promis de déconner dans cette chronique de clôture, et me voilà sérieux comme un psy… Remarquez qu'avant de m'embarquer dans cette série, je me promettais aussi bien du plaisir. Pour dire qu'on peut se tromper…

   C'est pas que c'est pas drôle. Pour rire, il suffit d'ouvrir le livre de Lise Bourbeau, Écoute ton corps ton plus grand ami à la page 62, au chapitre de l’haleine de la haine. Vous savez que la haine c'est pas beau, mais saviez-vous, je cite : qu'il a été prouvé en laboratoire qu'en administrant le souffle d'un humain vivant de la haine dans le corps d'un rat, la mort s'ensuivit immédiatement ? (Paraît que ça marche aussi sur les vendeuses de Tupperware.)

   Page 148, à propos des prévisions météorologiques : Ce sont les humains qui décident de la température. Si pour une même région, les gens changent soudainement de pensée, la température subira un changement tout aussi radical.

   Pour être drôle, c'est drôle. Mais faut pas trop penser qu'Écoute ton corps est une organisation de croissance implantée partout au Québec qui rejoint sûrement 10 000 personnes par année…

   C'est comme cette courte lettre qu'un incertain Bernard Rousseau de Victoriaville m'a fait parvenir avant que paraisse le premier papier de ma série : Je sais que tu es présentement en thérapie. La dernière trouvaille en psychanalyse, c'est une association de trois mots : Comète-Lune-Soleil. Tu lis ces trois mots et ils se promèneront dans ton inconscient pendant un an et trois quarts. Tu te sentiras mieux dans ta peau. Mets-les dans une chronique et tu offriras une psychanalyse à tous tes lecteurs. Je te lis depuis sept ans…

   De cela non plus je ne jurerais pas de la drôlerie… En tout cas, avant de rire, j'aimerais que les gens qui me lisent depuis sept ans ou plus, m'envoient un petit mot, je voudrais vérifier quelque chose.

   Bon, ça me prend une conclusion.

   Mais comme je suis un peu fatigué, je vais me servir d'un conte du délicieusement farfelu Alphonse Allais.

   C'est l'histoire d'un type qui avait une très longue et très belle barbe dont il était bien fier. Un jour, un emmerdeur, lui demande : « Quand vous dormez, vous la mettez où votre barbe, sur le drap ou dessous ? »

   Le barbu ne s'était jamais posé la question. Il se la posa le soir même. Il mit sa barbe dessus. Puis dessous. La remit dessus. Puis encore dessous. Puis se coucha sur le ventre. Sur le côté. Finalement ne dormit pas de la nuit, ni les suivantes, et devint fou…

   Ça c'est l'histoire telle qu'elle est racontée.

   Moi j’ajoute - mais Allais y avait sûrement pensé - que le bonheur c'est pareil.

   Fuyez les emmerdeurs qui vont vous empêcher de dormir et vous rendre fou avec leurs questions à la con. Ou de l'inverse. Con avec leurs questions de fou.

   Bye. Pas de chronique mardi. Mais jeudi par exemple, eh sacrament jeudi ! Je vous reviens plein d'énergies positives.