Chronique 7 - La boue qui guérit

Chronique de Pierre Foglia publiée dans la Presse, vendredi, 5 février 1988. Sujet : Les manipulateurs d'âmes. Thème : Les cours de croissance personnelle. Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

CHRONIQUES DE PIERRE FOGLIA

Pierre Foglia

8/25/20256 min read

   Le dernier papier de cette série essaie de répondre à cette simple question : existe-t-il des bonnes thérapies de croissance personnelle ? Ou transpersonnelle, ou je ne sais quoi (je commence à m'enfarger dans leur jargon à la con). Mais qu'importe qu'on les nomme thérapies alternatives, techniques de transformation ou technologies psycho-corporelles…

   En est-il de bonnes ?

   Tout dépend à qui vous posez la question. Si c'est à moi, je vais forcément répondre à côté, je vais dire des trucs comme achetez-vous donc une bicyclette à la place, ou faites donc du jardinage, cultiver l'endive tiens, qui est un légume très existentiel, regardez-la droit dans les yeux, vous verrez, l'humain n'est pas loin.

   Mes revenons à votre question. Y a-t-il des bonnes thérapies alternatives ? Je l'ai demandé pour vous à un million de gens depuis le début de cette série, surtout à des psys, bien sûr, notamment à ceux que je remerciais dans l'article d'hier et à bien d’autres…

   La réponse à la question est un oui unanime. C'est la bonne nouvelle. Oui il y a un salut hors la psychologique conventionnelle ! Oui il y a des bonnes thérapies alternatives.

   Bien sûr, vous êtes impatients de savoir lesquelles. C'est simple à retenir : toutes peuvent être bonnes. Bio-énergie, gestalt, feldenkrais, tous les massages, suédois, néo-reichien, réflexologie, la méditation, les visualisation, le Tai’chi, l'astrophysique… name, it, l'irrigation du côlon aussi, toutes les thérapies peuvent être bonne, y compris le tarot.

   Qu'est-ce qu'une bonne thérapie ? Avant tout, c'est une thérapie à laquelle ON CROIT. Le mythe inspirant, disent les psys… L’anecdote qui suit m'a été rapportée par Conrad Lecomte de l'UdM, une grosse bol en psychologie de counseling. Un de ses confrères avait récemment pour client un travailleur italien qui s'inquiétait de bandouiller un peu mou. Après deux séances, l'Italien ne revient plus. Le psy lui téléphone : « Ai-je dit ou fait quelque chose qui vous ait choqué ? »

   – Non, c'est parce que je suis guéri, docteur. Je suis allé chez une vieille dame, une Italienne qui a des pouvoirs magiques. Elle m'a mis une boue noire sur le ventre. Elle l'a laissée sécher. Et quand elle l’a enlevée, tout le méchant que j'avais dans le ventre, il est venu avec la boue. Vous comprenez ? Et maintenant ça va très bien.

   L'anecdote montre que la foi peut faire des choses plus amusantes que déplacer les montagnes. Par contre elle ne démontre pas que le que la boue noire est souveraine contre les cas d’impuissance, même passagère. L'effet des thérapies varie d'un client à l'autre, et bien sûr, d'un thérapeute à l’autre.

   C'est la mauvaise nouvelle : si toutes les thérapies peuvent être bonnes, très très rares sont les bons thérapeutes.

   Moins d'escrocs qu'on l'imagine. Par contre un redoutable contingent d'illuminés. Et surtout, dans les grandes organisations de croissance, une majorité de techniciens formés sur le tas, joyeux béotiens sélectionnés sur le seul critère de leur dévotion au gourou ou à la gourouse en place, et dont l'incompétence peut être à l'origine de désordres importants.

   Parlant de désordres, une parenthèse, ici, sur le rebirth. Une technique de respiration, d’hyper-ventilation qui amène le rebirthé, dans un état second. Un outil thérapeutique employé avec grande circonspection par les praticiens sérieux, pour faire tomber les défenses d'un patient quand il n'y a pas d'autres moyens d'aller « le chercher ». Un outil d'une redoutable efficacité pour ouvrir l'âme et pour aller jouer dedans… Or voilà que cet outil est devenu une mode, une religion, un « art de jouir pleinement de la vie ». (c’est le titre d'un livre sur le rebirth) et aussi un moyen de transport (si si, je vous jure) pour aller faire un petit tour dans nos vies antérieures…

   C'est ainsi que n'importe quel mongol à batteries cosmiques, qui se prétend rebirtheur, sous prétexte de vous amener en Pologne septentrionale vérifier si par hasard vous n’y cultiviez pas la betterave au siècle dernier, n'importe quel épais, disais-je, avec deux semaines de formation, vous ouvre l'âme, vous fait crier, pleurer, n'importe quoi pour avoir un résultat et pouvoir vous dire ensuite : « Ça t’a fait du bien, hein ! T'en avais des choses à sortir ! ».

   C'est confondre l'outil et la thérapie. C’est ouvrir la montre à réparer, la démonter, ne plus savoir quoi faire avec les petits morceaux…

   Presque toutes les organisations de croissances et les centres de santé offrent des ateliers dits de « renaissance ». Et personne, que ce soit le ministère de l'Éducation, ou la Corporation des psychologues, ou l'Office de la protection du consommateur pour s'en inquiéter…

   Toutes les thérapies sont bonnes, peut-être même, parfois, le rebirth. Ce qui est mauvais le plus souvent, c'est l'encadrement, la manière, les méthodes et le thérapeute lui-même.

   Alors, avant de vous embarquer, vérifier donc quelques petites choses. Demandez d'abord combien de personnes sont inscrites à l'atelier ? Plus il y a de fous plus on rit de vous. Rappelez-vous, ça s'appelle croissance « personnelle ». Qu'y a-t-il de personnelle dans une technique, une grille qui s'applique uniformément à 100 personnes ?

   Examiner aussi, très soigneusement, les objectifs de l'atelier. Interroger le sens des mots. Ça implique quoi « transformation » ? Êtes-vous bien sûr de vous haïr au point de vous laisser transformer par une vendeuse de tupperware, ou par un nostalgique du Réarmement moral ?

   Vérifier s'il y a une graduation à la fin de votre cours ou session… Demandez-vous comment on peut graduer dans un domaine aussi intime. Il existerait donc un modèle ? Lequel ? (J‘ai déjà vu chez un dépanneur au-dessus de la caisse, le diplôme de l'institut Silva Bergeron)

   Demandez, mine de rien, si on applaudit souvent dans l'atelier. Si oui, c'est l'indication que vous aurez à abandonner votre libre-arbitre.

   Et justement, le point essentiel, demandez comment sont reçues les observations critiques, les dissidences. Sont-elles intégrées ou parasites à la méthode ? Ce critère, majeur, élimine les quatre cinquièmes des groupes de croissance…

   Reste qui ? Franchement, je ne sais pas. On m’a bien donné quelques noms. Ici, un spécialiste de la méthode Feldenkreis, là deux gars corrects en bio-énergie, mais aller donc savoir…

   On m'a vanté aussi sur Saint-Denis, un « bon » centre de croissance et d'humanisme appliqué, sauf j'ai vérifié, et ça prend une maîtrise en psycho pour être admis à l'atelier.

   Justement, puisqu'on parle de diplôme, les « vrais » psys, ceux enregistrés à la corporation, sont eux aussi très impliqués dans la pratique des nouvelles thérapies. Et la question se pose : sont-ils plus sérieux que les amateurs ?

   Bof, plus articulés peut-être. Mais il n'y a pas de diplôme en honnêteté professionnelle. Et surtout pas de diplôme en compassion, peut-être la plus importante des qualités d'un bon thérapeute.

   On me cite justement le cas d'un de ces psys très à la mode, dûment diplômé, qui se répand dans les médias et les universités, organise de chics croisières de croissance en Europe, fort séduisant, et au moins aussi doué pour le marketing que pour la psychologie. Bref, tout pour réussir. Sauf qu'il est aussi dépourvu de compassion qu'un directeur de Club Med et aussi narcissique. Si bien qu’au lieu de consultations, il donne à ses clientes des représentations.

   C'est pour dire qu'il y a aussi des joyeux farceurs, des gentils escrocs, et nombre d'incompétents chez les psys patentés. Ce qui explique peut-être le silence de la Corporation des psychologues sur le délicat dossier (pour elle) de la croissance personnelle.

   C'est finalement une modeste association de consommateurs, l’Association coopérative d'économie familiale du centre de Montréal (ACEF-Centre) qui s'est émue la première de l'ampleur des dommages. Par des enquêtes et des articles dans sa revue S'en Sortir, l’ACEF-Centre a mis à jour, bien avant les médias, le merveilleux commerce de la croissance personnelle.

   En octobre dernier, l’ACEF-Centre, qui avait à traiter de plus en plus de plaintes, parrainait le lancement d’INFO-CROISSANCE, un centre d'informations et de recherche sur les organisations de croissance personnelle.

   Et c'est justement un rapport de recherche qu’INFO-CROISSANCE rendra public dans une quinzaine. Ce rapport, qui devrait faire au moins, sinon plus de bruit que cette série, et le résultat d'une enquête scientifique de plusieurs mois, dans sept organisations majeures qui dispensent des cours de croissance personnelle.

   Par ailleurs, INFO-CROISSANCE reçoit et traite les plaintes du public. 550 appels depuis octobre. Et on y donne aussi des conseils et de l'information sur 165 organisations de croissance dûment répertoriées.

   INFO-CROISSANCE, c’est deux filles. Line Beauchamp et Lise Béliveau à 598-5081.

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Notes de l'auteur du blogue : Lors de la réforme du Code des professions en 1994, un changement de dénomination a été apporté : la Corporation professionnelle des psychologues du Québec est devenue l’Ordre des psychologues du Québec.