Chronique 6 - Ça marche, mais pas longtemps

Chronique de Pierre Foglia publiée dans la Presse, jeudi, 4 février 1988. Sujet : Les manipulateurs d'âmes. Thème : Les cours de croissance personnelle. Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

CHRONIQUES DE PIERRE FOGLIA

Pierre Foglia

8/22/20257 min read

   Avant cette série, je suis allé voir des psy qui connaissaient bien mon sujet. Je les ai interviewés, j'ai pris des notes, et puis bon, je les ai toutes mêlées ces notes. Si bien que je ne sais plus qui m'a dit quoi.

   Je m'excuse. Je les remercie. Il reconnaîtront, particulièrement dans le papier d'aujourd'hui, les pistes qu'ils m'ont suggérées.

   C'est d'abord Lyne Beauchamp, d’Info-Croissance. Puis Conrad Lecomte, prof à l'Université de Montréal. Ginette Paris, prof à l’UQUAM et Yves St-Arnaud, prof à Sherbrooke. Les trois derniers cités, docteurs, auteurs, chercheurs et tout et tout, je passe sur les titres. D'ailleurs, les trois m'ont bien dit qu'en psychologie, encore plus qu'ailleurs, les diplômes ne prouvaient rien.

   Bon, maintenant que je vous ai présenté mes musiciens, je vais pouvoir continuer à chanter.

   Or donc, c'est le Yves St-Arnaud de l'Université de Sherbrooke, ancien jésuite, aujourd'hui un des tenants les plus respectés de la psychologie humaniste, qui me raconte qu'un jour sa vieille tante de 80 ans lui téléphone.

    Dis donc Yves, toi qui est un savant et qui a été presque curé, est-ce que je vais aller au paradis quand je vais mourir ?

    – Oui ma tante, répond le professeur.

   Schlac, pas bonjour, pas bonsoir, la vieille dame a raccroché. Elle avait eu la réponse qu'elle était venue chercher. Elle n'en voulait pas plus. Elle ne voulait surtout pas risquer de gâcher son paradis avec les mais et les si que son savant neveu n'allait pas manquer d'ajouter. Qu'il ajoute toujours, parce que c'est un homme de science, d'une grande rigueur.

   Les cours de croissance personnelle sont fréquentés par une foule de gens qui s'interrogent aussi sur le paradis, et qui veulent aussi une réponse tout de suite. Sans mais, sans si. C'est pour cela qu'il ne s'adressent jamais à Yves St-Arnaud qui de toutes façons a bien d’autres choses à faire. Je veux dire, c'est pour cela qu'ils ne s'adressent à peu près jamais à la psychologie institutionnalisée, même la psychologie humaniste pourtant à l'origine de toutes les nouvelles thérapies.

   Le préjugé est tenace (mais est-ce bien un préjugé ?), dans l'esprit du grand public, psychologie et psychiatrie sont pour l'élite. Ou pour les fous. Et puis c'est long, c'est cher, et c'est pas le fun parce qu'on se retrouve tout seul avec notre problème devant un bonhomme qui dit que c'est à nous de le régler, à notre manière, et qu'il n'y a aucun truc, aucun raccourci.

   Tout le contraire des cours de croissance personnelle. Dans lesquels on se retrouve en la compagnie de gens qui nous applaudissent, qui nous touchent, nous font des massages, nous prennent dans leurs bras, nous disent qu'ils nous aiment. C'est quand la dernière fois qu'un inconnu vous a dit je t'aime ? C'est quand la dernière fois qu'on vous a applaudi ?)…

   Quant au gourou en avant, il est plein de trucs amusants et de raccourcis pour le paradis. Des trucs qui marchent. Qui font effet immédiatement. C'est pas exactement le paradis, mais voilà, tout à coup, à votre grand étonnement, que ça va mieux dans votre vie.

   Ce n'est pas pour rien que les ateliers de croissance personnelle sont tant fréquentés. C'est parce que le bouche-à-oreille est fait par des convertis très convaincus, très inspirants : « Je te jure que ça marche, vas-y, moi ça m'a fait du bien tu peux pas savoir. »

   Ça marche, c'est vrai. Pas un peu, pas à moitié. À la fin des ateliers de croissance, n'importe lequel, le taux de satisfaction voisine les 100 %.

   Depuis le début de la série, une foule de gens m'ont appelé pour me dire bravo mon vieux, il était temps qu'on dénonce ce genre de folies, etc… J'ai retourné tous mes appels et chaque fois je posais la même question :

    – Mais vous, monsieur ou madame, avez-vous déjà suivi un cours de croissance personnelle ?

   La réponse était presque toujours non. Et quand la réponse était oui, c'était : « Oui mais il y a longtemps ».

   Pas une seule personne ne m'a appelé pour se plaindre qu'elle venait de suivre un atelier et qu'elle s'était fait fourrer. De mon côté, j'ai recontacté les gens que j'ai rencontrés durant cette série, que ce soit à Écoute ton corps, que ce soit à l'IDP, même à Sylva Bergeron, c'est l'unanimité : ils ne se sentent pas du tout concernés par ma série. Eux ont tiré de leur expérience beaucoup de bien. Point à la ligne.

   Même celui-là qui a fait The Forum : « Je viens de lire ton papier. Tu paranoyes un peu, mais tu touches juste sur bien des choses, même qu'il me semble que tu ne dénonces pas assez la rapacité de The Forum. Moi, à la fin de la session je les haïssais énormément, je leur ai dit en pleine face que je vomissais jusqu'à la couleur de leurs chemises. Sauf que dans mon for intérieur, j'étais obligé d’admettre que j'avais réglé des problèmes pendant ces deux fins de semaine. Des trucs importants, qui me font mieux fonctionner maintenant. Je te signale que je ne suis pas un homme d'affaires. Ça ne va pas mieux dans ma carrière, ça va mieux dans ma vie. Crois-le ou pas, j'en ai rien à foutre, je tenais juste à te le dire ».

   Il n'avait pas besoin de tant insister. Je suis sûre que ça marche. Comme je suis sûr de deux ou trois autres petites choses concernant les cours de croissance personnelle…

   – Que ça marche. 

    Que ça ne marche pas longtemps.

    – Que le prix à payer est exorbitant.

   Oui, ça marche. Par la grâce des trucs et recettes dont on parlait tantôt… Des trucs pour s'accepter, transformer des contraintes en choix, pour voir ses problèmes comme des défis, pour reconnaître les ornières dans lesquelles on reste le plus souvent pris… En fait, des trucs très élémentaires de bon fonctionnement que les enfants apprendront un jour à l'école en sixième année, quand on décidera de mettre « la vie mon vieux » au programme. Ce qui serait quand même une bonne idée.

   Il n'y a pas que les recettes, il y a ces grandes vérités sur lesquelles les meneurs de jeu assoient leur crédibilité. Par exemple, ils disent des choses comme : « Les diètes pour maigrir, ça ne vaut rien ». Et les obèses applaudissent beaucoup.

   Enfin et surtout, si ça marche, c'est parce qu'à peu près n'importe quoi marche, dès qu'il y a engagement du client. Et il y a engagement du client dès qu'il paie. À The Forum on affirme : « La thérapie commence au premier versement, même si le cours ne débute que deux semaines après ». Ce n'est pas de la magie. En versant $600 pour changer, on se dispose, c'est évident, au changement. Et c’est là la moitié, ou presque, de la thérapie.

   Ça marche donc. Mais pas longtemps.

   Après quelques mois, l'euphorie retombée, tu t'aperçois que tu ne fonctionnes pas mieux qu'avant. Et que tu pèses toujours 242 livres…

   Tu te remets à penser ce que disait la mère Bourbeau sur l'obésité. Les diètes ne servent à rien, bon. Mais encore ? Tu cherches dans le petit catéchisme d'Écoute ton corps, écris par la même Lise Bourbeau (déjà 20 000 exemplaires vendus, hélas) et tu lis à la page 107 : « Ton poids supplémentaire te permet de rester bien ancré à la terre d'où tu voudrais t'évader. Accepte donc une fois pour toutes d'être sur la terre, apprends à t'aimer et à aimer les autres ». C'est à ce moment-là que tu réalises qu'avec son histoire de poids en trop qui t'empêche de graviter, la mère Bourbeau te prend pour une montgolfière, et que tu t'es fait fourrer.

   Après quelques mois, l'euphorie retombée, il ne reste plus de ta thérapie que d’hétérogènes éléments d'une vague religion de la transformation qui ne colle pas très bien avec ton quotidien.

   Rien d'étonnant. On ne maigrit pas, on ne grandit pas, on ne donne pas un sens à sa vie en une ou deux fins de semaine. Et ceux qui prétendent le contraire sont d'aimables marchands de farces et attrapes, de placebos et de poudre de perlinpinpin.

   Le coût de l'atelier de croissance varie entre $250 $ et $600, beaucoup moins chez Sylva Bergeron, ($130 pour 12 leçons), mais de toute façon ce n'est pas de ce prix-là dont je veux parler.

   Je parle du prix de l’accoutumance.

   Chaque organisation de croissance est une île où l'on se retrouve entre initiés. Un îlot culturel où l'on vit en serre chaude…

   Après l'atelier, le retour à la réalité chez les sauvages ordinaires est parfois bien difficile à assumer pour le nouveau-transformé. Chez certains participants s'installe tout de suite la nostalgie du groupe et de ses bonnes énergies…

   Ceux-là retourneront bien vite à l'île. Comprenez qu'ils s'inscriront à un nouvel atelier, puis à un autre, et à un autre encore. Près de la moitié des gens que j'ai rencontré en était au moins à leur « troisième retour à l’île ». Comme cette dame de Saint-Jean : « Moi, je les ai tous faits, même l'Église de scientologie. C’t’à cause de mon asthme ! » (Et la morphine, madame Chose, as-tu essayé ? Paraît que c'est bien bon aussi pour l’asthme).

   Une autre pathétique accrochée, cette fille rencontrée à l'IDP qui m'a raconté :

   – Avant, j’étais très instable émotivement. Ça ne marchait jamais avec mes chums. Je cherchais le prince charmant…

   – Et maintenant ?

   – Depuis deux ans que je tripe là-dedans, je suis très bien. Je n'ai pas de chum régulier, je n'en cherche pas et je ne panique pas quand je suis toute seule quelques mois…

   – T’as pris beaucoup d'ateliers ?

   – Chaque fois que ça me tente. Quatre ici, deux ailleurs…

   Alors voilà, il était une fois une jeune fille qui cherchait en vain le prince charmant et qui cherche maintenant – quel changement ! – la thérapie charmante…

   Demain : Info-Croissance